Chapter 2

Évaluations inclusives de la santé en présence de clients noirs

Cas d’application : Mireille Ndjomouo

Mireille Ndjomouo, une Noire de 44 ans, mère de trois enfants, décédée dans un hôpital canadien en mars 2021, est vue, dans une vidéo qu’elle a diffusée sur les médias sociaux, avant de mourir, en train d’implorer de l’aide : « On dirait qu’ils ont décidé de me faire mourir petit à petit… J’ai des enfants. Je ne veux pas mourir et laisser mes enfants. » Elle suppliait qu’on la fasse sortir de l’hôpital, déclarant qu’on l’avait traitée à la pénicilline alors qu’elle avait dit au personnel hospitalier qu’elle y était allergique (World News, 2021). https://www.vice.com/en/article/pkdnpn/mireille-ndjomouo-posts-video-begging-for-help-in-quebec-hospital-days-before-she-died
Mireille éprouvait manifestement un sentiment d’impuissance aussi longtemps que sa voix et sa connaissance de ses besoins en santé n’étaient pas respectées.

En quoi dénouement de son impasse aurait-il pu être différent?

Voici, en guise de stratégies, quelques éléments à prendre en compte, comme l’a recommandé la Dre Nadia Prendergast, infirmière érudite, chercheuse spécialiste du racisme anti-Noirs, lorsque vous procédez à une évaluation inclusive en présence de clients noirs:

  1. Agir en toute conscience: Soyez attentif au fait que l’expérience du racisme dans la société et le système de santé influent sur leurs réactions face aux professionnels de la santé. Les injustices historiques engendrées par 200 ans d’esclavage, accompagnées de traumatismes multigénérationnels, peuvent amener les clients noirs à se méfier des agents du système de santé et de leurs interventions (Kennedy et al., 2007). Cette méfiance, qui peut faire qu’ils ressentent les questions d’évaluation comme une intrusion, peut également, compte tenu de leur expérience historique du système de soins de santé, les rendre réticents ou brusques dans leurs réponses à certaines questions. Malheureusement, certains professionnels de la santé y voient parfois une forme d’agression, dans cette réticence et cette brusquerie dictées par la méfiance. Cette perception d’agressivité est à écarter. Expliquez plutôt les raisons pour lesquelles vous posez les questions et rassurez la personne quant au respect de la confidentialité. Jugez de la prudence de lui poser des questions sur ses expériences antérieures du système de santé, car ces questions peuvent être perçues comme un interrogatoire. Si l’infirmière avait tenu compte du vécu de Mireille, de son expérience du racisme, les résultats auraient pu être différents. En vous efforçant d’abattre les barrières potentielles ou apparentes, mettez-y toujours de la bonne volonté, de l’amabilité, de l’attention sincère et de la patience.
  2. Agir en étant conscient de vos propres présupposés sur les Noirs: Bien qu’ils partagent l’expérience commune de l’oppression résultant de l’esclavage et des injustices raciales d’aujourd’hui, les Noirs ne constituent pas un groupe homogène, et ce, malgré les fausses perceptions tributaires des médias et des croyances communes, notamment l’idée fausse selon laquelle les Noirs ne ressentent pas la douleur parce que leurs nerfs ne possèdent pas les mêmes terminaisons que celles des autres populations. Par exemple, la douleur est le symptôme le plus invalidant de la drépanocytose, mais les médecins, qui les perçoivent comme des toxicomanes ou des drogués, refusent souvent d’administrer des analgésiques aux patients noirs atteints de drépanocytose  (Bergman & Diamond, 2013). Dès lors, un jeune homme noir en proie à des douleurs et qui demande de la morphine peut, sous le poids de cette présomption, se voir traiter de toxicomane, alors qu’il fait en réalité . Ce genre de présomption, bien que fausse, qui peut, comme dans le cas de Mireille, conduire à des évaluations et à des soins inadaptés, n’est pas sans conséquence. Elle vous fait comprendre en quoi il est nécessaire de toujours inviter les clients noirs à faire part de ce qu’ils savent d’eux-mêmes, cette volonté d’apprendre du client créant un cadre  équitable propice à la guérison. Bien plus, cette volonté porte en elle la reconnaissance du fait que la culture est vécue et interprétée différemment par chacun, qu’il n’est donc pas réaliste de vouloir tout apprendre sur les autres cultures et qu’il est préférable de procéder à partir d’un lieu de compréhension, de conscience et de désir de démanteler le racisme.
  3. Agir en étant attentif à vos propres préjugés à l’égard des clients noirs. L’oppression systémique exercée à l’encontre des Noirs a contribué à les faire percevoir comme étant primitifs et inintelligents (Smiley et Fakunle, 2016). À cela se greffent les préjugés voulant que leur phonétisme, s’ils parlent avec un accent, soit perçu comme un manque d’intelligence ou une marque de déficit d’intelligence, ou encore que les gesticulations et une voix amplifiée, si ces tendances se manifestent, soient visées comme des signes d’atteinte à la santé mentale, de violence et de manque d’éducation. Ces préjugés peuvent influer sur votre approche des clients noirs, sur votre interaction avec eux, et même si vous ne le faites pas intentionnellement, ces derniers pouvant alors interpréter les comportements dédaigneux et moralisateurs comme du racisme. Se manifestant au travers de nos préjugés qui considèrent les personnes racialisées comme des êtres inférieurs, le racisme amène à croire qu’elles ne méritent pas le respect et l’honneur humain qui sont pourtant des aspects importants d’une évaluation inclusive. Rappelez-vous bien que les clients racialisés, par ricochet, vous évaluent aussi en tant que membre du personnel infirmier et qu’il est essentiel, face à cette évaluation, de vous efforcer d’être antiraciste, plutôt que de vous contenter de prétendre que vous ne l’êtes pas. En étant toujours conscient de vos propres préjugés, surtout sur l’intelligence des Noirs, vous en viendrez à respecter volontiers, comme il se doit les connaissances que les clients noirs apportent aux évaluations de la santé, et ce, à l’instar de Mireille, qui se savait allergique à la pénicilline et qui le faisait savoir, mais qui n’a pas été respectée.

Références

Bergman, E. J., & Diamond, N. J. (2013). Sickle cell disease and the “difficult patient” conundrum. The American Journal of Bioethics13(4), 3–10. https://doi.org/10.1080/15265161.2013.767954

Kennedy, B. R., Mathis, C. C., & Woods, A. K. (2007). African Americans and their distrust of the health care system: healthcare for diverse populations. Journal of Cultural Diversity14(2).

Smiley, C., & Fakunle, D. (2016). From “brute” to “thug:” The demonization and criminalization of unarmed Black male victims in America. Journal of Human Behavior in the Social Environment26(3-4), 350-366.

https://doi.org/10.1080/10911359.2015.1129256

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